Participation et politique(s)

  • , actualisé le
  • par Nicolas

Pour ne pas être un processus alibi, la participation doit permettre de débattre avec ceux et celles qui décident. Expérience et réflexions.

Imaginez que vous êtes invité·e·s. Vous arrivez, on vous accueille, la salle a bien été préparée. Vous choisissez votre place… et là, catastrophe ! vous manquez de vous étaler au sol ! Il manque en effet un pied à votre siège. Vous voulez donc en prendre un autre. Mais en regardant, vous constatez que les autres chaises, sans exception, n’ont elles aussi que trois pieds, et que les personnes déjà installées sont obligées de se tenir sur le bord de leur siège pour ne pas tomber. Et vous vous dites que cette soirée qui vous intéressait tellement va se révéler fort inconfortable et même source d’énervement...

 Pouvoir débattre avec ceux et celles qui décident

Pour que la participation des habitant·e·s ne soit pas bancale, il est nécessaire qu’elle repose sur quatre pieds. Autrement dit que tous les acteurs concernés participent d’une manière ou d’une autre. Ces acteurs, ce sont tout d’abord bien sûr les habitant·e·s concerné·e·s par une question ou un projet ; ce sont ensuite les organismes qui s’en occupent, qui mènent le dossier et travaillent à sa réalisation – sur toutes les questions publiques ce sont donc les fonctionnaires et les services administratifs concernés ; ce sont aussi les « expert·e·s », c’est-à-dire les personnes qui peuvent amener de l’extérieur des connaissances particulières ou un éclairage différent ; et ce sont, last but not least, les décideurs·euses, ceux et celles qui prennent les décisions sur ce qui est discuté – c’est-à-dire les élu·e·s politiques dans le cadre des mandats qui sont les leurs.

Luc Barthassat, conseiller d’Etat, et Yvan Rochat, conseiller administratif de Vernier, entourant M. Messager, directeur à l’office cantonal des transports, lors d’un forum public en 2017 à la Concorde

Seulement voilà, on découvre dans certaines démarches participatives que les décideurs politiques ne sont pas partie prenante et sont absents de toute discussion. Et c’est là qu’on se retrouve sur des chaises à trois pieds, condamné·e·s à faire de l’équilibrisme, parce que tout le volet du débat concernant les décisions prises ou à prendre ne peut pas avoir lieu.

 Quand les questions des habitant·e·s restent sans réponses...

Un exemple actuel est le processus de discussion autour des aménagements liés au futur BHNS, le bus à haut niveau de service Cornavin – Vernier – Meyrin qui traversera les Charmilles (voir la présentation du dossier sur le site du Forum). Les fonctionnaires de l’Office de l’urbanisme et de l’Office des transports sont là et présentent les dossiers, l’agence Gehl, spécialisée dans les questions d’aménage­ment, intervient et apporte des exemples et des propositions, les habitant·e·s participent et donnent leurs avis, mais les conseillers d’État, dont dépendent la réalisation du BHNS et de ses aménagements, sont aux abonnés absents.

Les habitant·e·s ont pourtant bien des questions à leur poser :

  • Quel est le but du BHNS ? Diminuer la circulation automobile au profit des transports publics, ou augmenter le trafic global sur les axes concernés ?
  • Certaines routes seront-elles élargies ?
  • Que va-t-il se passer pour les arbres qui bordent la rue de Lyon ou la route de Vernier ?
  • Les nuisances actuelles vont-elles diminuer pour les riverains ?
  • Et si oui, par quels moyens ?
  • Bref, quelle est l’intention politique globale du projet, et comment avez-vous prévu de réaliser celui-ci ?

Même en l’absence des responsables politiques, ces questions ont été posées lors des différentes séances auxquelles le Forum a participé. Mais les fonctionnaires sont tenus à la neutralité, et ils·elles s’en tiennent à leur devoir de réserve. Leurs réponses ont été très vagues et timides :

  • « Le projet n’en est encore qu’au début » ;
  • « les questions de circulation sont très compliquées » ;
  • « d’ailleurs elles ne font pas partie de la participation sur ce dossier » ;
  • « on ne peut pas vous fournir des chiffres sur le trafic actuel parce que vous ne les comprendriez pas » ;
  • « les plans ne sont pas encore faits » ;
  • etc.

Si bien que lors d’une réunion préparatoire un participant a résumé le sentiment général : « Au fond on nous demande de choisir les endroits où installer des bancs pour voir passer les camions… »

 Discuter ensemble des buts, et pas seulement des moyens

Depuis ses débuts, la pratique du Forum 1203 est de toujours inviter les élu·e·s (ou les propriétaires quand il s’agit de domaines privés) à participer au débat. Et quasiment toutes les expériences que nous avons eues ont été positives. Conseiller·e·s d’État pour les questions touchant le Canton, conseillers administratif·ve·s pour les questions communales, ont participé à des débats avec des habitant·e·s , ont présenté leurs projets, ont expliqué leurs buts, écouté les questions, les objections, les propositions, et accepté d’en tenir compte autant que possible.

Les démarches participatives sont en effet un outil politique, au sens large de ce mot. Elles visent à débattre de ce que l’on souhaite à l’échelle de la collectivité, à ne pas éviter les oppositions mais au contraire à confronter les opinions différentes, à imaginer des pistes qui tiennent compte de la diversité des attentes et des intérêts. Bref, à poser de façon collective la question du « pourquoi ? » et celle du « pour quoi ? » (et « pour qui ? »), et pas seulement celle du « comment ? »

Nicolas Künzler

Article paru dans le n° 124 de Quartier libre, le journal de la Maison de quartier de Saint-Jean, édition printemps-été 2021

Voir en ligne : cet autre article : Qu’est-ce que la participation ?